jeudi 21 mai 2015

Voyage du Havre à Marie-Galante en cargo (mai 2015)




Jeudi 30 avril :

Voilà c’est parti pour de nouvelles aventures. Je ne suis pas très sérieux ! Je termine de boucler ma valise à 2h30 (du matin !) alors que je dois me lever à 5h30… Qu’ai-je bien pu oublier ? Entre les chargeurs des téléphones, tablettes, PC, appareil photo… Manquerai plus que j’ai une caméra et une Go-pro… Il m’en manquera bien un ! Mon père, pour une fois, est à l’heure au rendez-vous que je lui ai fixé à 6h15. La peur de se faire rabrouer certainement ! Dernières caresses à mes loulouttes Flack et Lilo. Marie-Christine ne rate pas l’occasion de leur dire que je les abandonne. Elle oublie de leur dire qu’elle va partir, elle, 6 semaines à mon retour ! Chargement des 2 valises (une pour Marie-Galante, remplie de bric-à-brac, l’autre pour moi, avec du linge et des provisions pour tenir 11 jours sur le bateau), et un sac qui pèse 2 tonnes avec les différents appareils cités ci-dessus. Un dernier bisou à MC, qui s’en va travailler (elle !), et c’est le départ. Je serre les fesses, mon père étant au volant… Je me contrôle car je ne supporte pas d’être à côté, à la place du mort ! Ce n’est pas qu’il conduise mal. Comment dire… J’ai toujours l’impression qu’on va se faire fracasser par l’arrière tellement il s’arrête presque, là où il n’y a pas lieu ! Mais bon, c’est sympa à lui de s’être levé pour venir me chercher et m’emmener à Bellegarde, où je vais prendre le TGV. On est largement en avance, mais je préfère ! Ca nous donne le temps de boire un café et prendre un croissant. Le TGV arrive pile à l’heure. Qui a dit que la SNCF était toujours en retard ou en grève ? Pour une fois, une veille de 1er mai, elle ne l’est pas. Je n’avais pas pensé à ça ! A l’arrivée à Paris, gare de Lyon, il pleut. Ca commence bien. Transfert en taxi à la gare Saint-Lazare, une gare qui draine un nombre hallucinant de banlieusards. J’aurai largement pu prendre le train pour le Havre d’11h50, mais ne sachant pas la circulation qu’il allait y avoir, j’ai préféré réserver sur le suivant à 14h50. Trois longues heures à ronger son frein… Le quai du train pour le Havre s’affiche enfin sur les panneaux électroniques. Pas moyen de trouver un numéro de voiture. Normal me dit le chauffeur, ce train n’a pas de réservations. Ca vaut bien la peine de réserver sa place depuis internet. Enfin, bondé, pas de place pour mes valises ! Je les coince tant bien que mal sur la rampe d’escalier qui mène à l’étage. Surtout à vue, car je n’ai pas envie de me les faire taxer. Le trajet en direction du Havre ne présente aucun intérêt, mais alors aucun ! Il débute par des tunnels sous Paris (la gare est presque au centre, à côté de la Madeleine), et se poursuit quasi tout le long entre des talus et sous des tunnels. Moi qui pensais avoir droit à des paysages bucoliques… Pour preuve la gare de Rouen rive droite (il doit y en avoir une autre ?) ressemble trait pour trait  au film « Subway » : glauque, grise et sale, presque effrayant. Je ne savais pas que ça pouvait encore exister. La gare d’Ambérieu est moderne et agréable à côté de celle-là… Me voici enfin arrivé au Havre. Le conducteur du train annonce un arrêt, puis un autre plus tard, toujours au Havre… Quelle maladie ont-ils tous d’avoir 2 gares ! Bon je descends à la première, s’il le faut j’irai à la deuxième en taxi. Ca ne doit pas être bien grand le Havre… Bingo, mon hôtel est pile en face de cette gare (coup de chance !). Il semble vide, à part un client que je croise à la réception. La chambre n’est pas luxueuse, mais je ne suis pas là pour ça. Comme il est 17h00, je demande au réceptionniste, d’ailleurs très sympa, où aller manger quelque chose, et comment faire pour visiter la ville que je ne connais pas du tout. Il me conseille d’aller en tram jusqu’à la Plage (1,70 € l’heure ! Ce n’est pas les 3,40 CHF de Genève !).











A part des kebabs à tous les coins de rue (et je n’exagère pas !), il y a des chinois, des thaïs, pakistanais etc… mais pas une pizzeria, à part une « pizza Domino », infecte, et qui de toute façon ne fait qu’à l’emporter. Sur le coup de 20h30, je me résous à aller juste à côté de l’hôtel, dans une brasserie spécialiste de couscous, où j’ai mangé un filet de hareng, et une escalope de veau à la normande. Et bien, c’était très bon ! 2 bières et 1 café, le tout pour 24 € ! Qui dit mieux ? Il est l’heure d’aller se coucher. On ne sait pas de quoi sera fait demain…

Vendredi 1er mai

Réveil à 8H00, aux cris des goélands. Qu’est-ce que ça fait comme boucan ! Pire que les coqs chez nous ! J’ai dit la veille au réceptionniste que je prendrais le petit’dèj au bistrot : j’aurai été le seul à le prendre à l’hôtel ! Le temps de contacter l’agent portuaire pour les dernières infos, car je ne sais ni le nom du bateau, ni son quai d’amarrage… C’est le « Fort Sainte Marie » (qui dit que Marie est une sainte ?), amarré au quai atlantique (ça j’aurai pu deviner). Il n’y a aucuns transports publics dans les rues du Havre, et guère plus de voitures. Ça change de Genève ! Je téléphone au taxi, le seul habilité à aller sur les docks. Il débarque 5 mn plus tard… Je papote avec le chauffeur.  Zut,  bloqués devant une barrière fermée. Il faut faire un détour de 2 kms pour accéder à une autre porte, gardée celle-ci. Je dois montrer patte blanche (avec mon passeport suisse !), pour accéder aux quais. Le chauffeur me pose au pied de la passerelle du cargo, qui a déjà commencé à charger. Deux asiatiques (philippins je suppose) viennent me prendre mes valises. Signature d’une fiche d’embarquement, et ils me désignent ma cabine, 2 ponts sous la passerelle, mais quand même au 5ème étage du « château » comme on dit. Spacieuse, deux lits simples mais 2 hublots, car elle est située sur le côté tribord du bateau. À environ vingt mètres du niveau de l’eau. J’espère que ça ne va pas trop rouler (de bâbord à tribord) et tanguer (d’avant en arrière). Je ne peux pas être situé pire, à part les officiers au dessus de moi, car l’amplitude du roulis y est maximum… Le temps de vider mes valises (seulement une partie), et c’est l’heure du repas. Je me retrouve avec le seul passager qui a déjà embarqué à Dunkerque, un retraité breton adepte des voyages en cargo. 


Il fait régulièrement la traversée vers les Antilles, seul, pour aller à… Marie-Galante, chez Bade à Capesterre. Il loue une chambre au dessus de la boulangerie « le soleil levant ». Qui l’eût cru ! Ca fait une quinzaine d’années qu’il va avec sa femme sur Marie-Galante, mais elle ne l’accompagne jamais en cargo. Elle vient parfois en avion, mais lui toujours en cargo. Les autres personnes, un couple de Suisses, doivent monter à Montoir-en-Bretagne, le port marchandises de Saint-Nazaire. Et nous serons au complet ! La cuisine est des plus correctes. La fricassée de porc au chorizo est fameuse. Ca promet ! Après avoir pris un café au salon des passagers mon collègue passager Félix Guézénoc, me confie un bouquin intitulé : « Marie-Galante, à la croisée des chemins », qui traite de son économie et de ses perspectives. Je vais de ce pas m’y plonger, et je commence la visite du cargo avec ce passager habitué.


Il faut dire qu’à part quelques philippins, il n’y a pas grand monde sur ce gros bateau. 1er mai oblige, les docks sont déserts, et un calme inhabituel y règne.


 Ca devrait fourmilier jour et nuit, au rythme des bateaux arrivant et partant vers d’autres cieux... ou plutôt eaux ! Un peu de lecture, et nous voilà déjà à l’heure du repas du soir. Je mange en tête à tête avec Félix (son nom Guézénoc est breton, donc incompréhensible pour nous). Nous philosophons sur Marie-Galante, son mode de vie, son rhum, ses gens. C’est super d’avoir un gars à bord, amoureux lui aussi de MG. Après le repas que nous faisons durer, il est temps pour chacun de rejoindre sa cabine. Je commence mon journal de bord, que je vous ferais partager à mon arrivée sur Marie-Galante, cause pas d’internet à bord.


 Ca fait bizarre de penser que pendant dix jours, nous serons coupés du monde au milieu de rien. Pas de téléphone, pas d'internet pour perturber cette retraite. Expérience unique pour qui le veut bien…

Samedi 2 mai :

Dès 7h00, l’agitation sur les quais commence. En temps normal, le port travaille jour et nuit. Mais là, le 1er mai est respecté par tout le monde, surtout par les dockers. La fête du travail c’est sacré. 


Mon collègue Félix n’est pas encore au petit-dèj, et je commence sans lui. Peut-être est-il malade ? Le voici qui arrive, et nous commençons à parler des suisses… Il habite le Mont Valérien, à Nanterre, tout près de Versailles, où une garnison de gardes suisses assurait la sécurité des rois de France depuis Louis XIV (et oui, il n’y en a pas eu qu’au Vatican !). D’ailleurs, une rue et un musée relatent cette période, inconnue de la plupart d’entre nous. Petite visite des ponts supérieurs, et notre chef philippin, responsable des passagers, nous convie (en anglais) à un meeting sécurité, donné par le second du capitaine, officier sur le navire pour deux mois. Le temps de faire quelques photos du chargement des « boîtes » sous le ciel gris du Havre, mais sans pluie. 

 


Je me remets sur mon livre de bord, avant d’aller prendre un café au salon des passagers, où m’attend Félix. Nous décidons de monter à la passerelle, déserte car nous sommes toujours à quai. Un gazier s’en va, tandis qu’un pétrolier manœuvre, certainement pour alimenter les citernes qui desservent les cargos. 


Il faut dire qu’un cargo de notre taille consomme 180 kgs de fuel lourd au mile marin (1,850 km), soit près de 800 T pour un trajet le Havre / Pointe-à Pitre ! La taille d'un "petit" pétrolier ! C’est déjà l’heure du repas de midi. Nous sommes à peine assis que notre cargo quitte le quai, et sort du port du Havre pour rejoindre celui de Saint-Nazaire, en longeant le Cotentin, empruntant le rail d’Ouessant, puis en passant devant les îles anglo-normandes, avant de plonger direction de l’estuaire de la Loire. Nous regardons le port commercial du Havre s’éloigner, mais la visibilité n’est pas très bonne. 


Elle va se dégrader encore en cours d’après-midi, un léger crachin s’étant levé. La mer est calme, avec des creux inférieurs à 1m. Le bateau se comporte à merveille, de bon augure pour la suite du voyage. Dommage qu’on ne voit pas mieux les côtes. A la sortie du repas du soir, c’est dans une véritable purée de pois que le navire évolue.


 On ne voit presque plus la grue située à la proue du bateau. Seuls les radars indiquent la présence des bateaux dans le rail. Le commandant donne l’ordre d’actionner la corne de brume (nouveauté pour moi), afin de prévenir surtout les bateaux de pêche présents sur zone, de notre arrivée. A 20 nœuds, en pleine charge, il faut plus de 2 kms pour arrêter ce mastodonte. Ca ne se manœuvre pas comme une voiture. Après avoir longuement discuté avec le capitaine de ce foutu temps, il nous faut bien laisser les officiers philippins très concentrés, diriger le bateau dans le brouillard. Et nous passer notre 1ère nuit en mer, pas trop agitée… pour l’instant !

Dimanche 3 mai

J’ai passé une bonne nuit, malgré un roulis assez important et un épisode un peu plus mouvementé aux alentours de 2h00 du matin. 



Le brouillard s’est levé, mais la visibilité reste assez faible. Le temps de se décrotter un peu, et c’est le petit-déj’ qui m’attends. Copieux et délicieux, il faut avoir le ventre plein pour ne pas subir le mal de mer. En tous cas, à ma grande surprise, pas la moindre nausée. Serais-je définitivement libéré du mal de mer ? On verra bien quand nous serons en plein Atlantique les conditions météo qu’on aura… Ce sera la surprise ! Petit tour sur la passerelle pour saluer les officiers philippins, et consulter la route parcourue sur les cartes marines. Nous devrions atteindre le port de Montoir-en-Bretagne, terminal container de Saint-Nazaire, aux alentours de midi, avec l’aide d’un pilote pour s’enfiler dans l’estuaire de la Loire. Nous l’attendons avec mon collègue passager, et quand il monte à bord, il prend les commandes du bateau. Moment stressant pour le commandant de bord, qui « confie » son bateau à un autre, certes qu’il connaît, mais quand même ! 




Bien qu’il ne connaisse pas la composition de sa cargaison, l’équivalent de 2200 containers 20 pieds (env. 6,5 m de long) représente une fortune : plusieurs centaines de millions d’euros ! Et sous SA seule responsabilité. De quoi avoir des frissons. L’entrée du port est encore loin, et nous allons manger. Une fois le repas terminé, nous sommes dans l’entrée de l’estuaire de la Loire. Nous passons sous le pont de St Nazaire, pour aller nous poser à quai.



 Manœuvre délicate que le demi-tour sur la Loire, avec un bateau de 200 m de long et 30 m de large. Un remorqueur est venu aider à la manœuvre, et le cargo se pose sans le moindre heurt contre le quai. Chapeau bas messieurs ! 



C’est l’heure d’un petit café, et je croise le couple de suisses qui nous accompagneront pendant la traversée, mais eux vont en Martinique, restent 15 jours, et reviennent avec le Fort Saint Louis. Ils viennent de Bex ( !), et ont déjà fait deux voyages sur des cargos beaucoup plus gros : un pour Oman et un pour New-York. Donc ils ne sont pas novices comme moi. 




Ils nous rejoindrons le soir même à notre table, au dîner. Le bateau que les dockers avaient commencé à décharger, n’émet plus aucun bruit… Bizarre. Les dockers ont abandonné le navire ! Il semble que la grue qui avait commencé le travail soit en panne. Il y a bien une camionnette qui est venue, mais visiblement le dépannage n’a pas été efficace. Après un long moment d’inactivité, on voit se rapprocher deux grues, certainement pour rattraper le temps perdu ! 





Elles commencent à décharger un nombre impressionnant de containers, y compris dans la cale où il y en a encore six hauteurs, soit onze hauteurs de containers, soit près de 30 m ! Pour arriver à la câle, il faut encore enlever de gros morceaux de pont pour découvrir les boîtes. Des planchers en ferraille qui doivent peser 20 ou 30 T ! Impressionnant. Bref, après avoir mitraillé de photos les opérations, il est déjà 23h, et le temps de remplir ce carnet de voyage, déjà minuit. Les dockers vont travailler certainement toute la nuit, et le bruit des containers qui s’entrechoquent risque de perturber notre sommeil. Mais nous sommes sur un cargo, n’est-il pas ? Si tout va bien, le départ du lendemain pour la grande traversée est prévu à 7h00. Bonne nuit !



 Lundi 4 mai

A l’heure où je me réveille, plus aucun bruit. Visiblement les travaux de chargement sont terminés. Comme prévu, nous devrions quitter le port de manière imminente. Sauf que, en allant fumer ma cigarette matinale, je remarque que les planchers des cales n’ont pas été remis en place. Ce qui veut dire que le chargement n’est pas terminé… 



En fait, une deuxième grue est tombée en panne pendant la nuit, et des techniciens s’affairent dessus. A 7h00, le travail reprend avec la 1ère grue, réparée en cours de nuit. Les dockers déchargent encore et toujours des « boîtes ». 

 


Nous, les passagers, allons au petit dèj’. Nous en profitons pour faire plus ample connaissance avec nos compagnons de voyage, Lissane et Bertrand Lauraux. Ceux-ci sont amis avec l’ancien syndic de Pully, un certain Michel FOUVY ! C’est incroyable de rencontrer de l’autre côté de la France, lors d’une expédition aussi improbable, en tous cas pas des plus banales, des personnes qui connaissent un de mes petits-cousins. Nous revenons sur la passerelle, pour suivre les opérations. Ils ont commencé à recharger le bateau, en remplissant d’abord les soutes. Puis vers 10h, ils remettent les couvercles de cale, et continuent le chargement sur le pont. Vers 11h30, les grues s’arrêtent, et le second nous informe (en anglais) que le chargement est terminé.



 Le temps de faire monter à bord le pilote, nous quittons le quai à 12h15, et le bateau fait route vers l’atlantique. A la sortie du chenal de l’estuaire de la Loire, le commandant donne congé à son pilote, et nous filons sur une mer calme. Le soleil nous rejoint même dans l’après-midi. Le bateau file sur l’eau à près de 20 nœuds, avec tout au plus un léger roulis. 


 


A 17h00, le second nous convoque pour une information sur les mesures de sécurité (enfilage des combinaisons de survie, signaux sonores en cas d’incendie ou d’abandon de navire, places de rassemblement etc…), avec en prime, une interrogation écrite, à lui rendre signée ! Et oui, il n’y a pas que dans les entreprises classiques que les chefs cherchent à se couvrir ! Ce soir, nous n’avons pas de beau couché de soleil. Le ciel se remplit de nuages, et des éclairs scintillent au loin. Nous essuyons un orage assez court, avec aucune incidence sur la mer. 




Tout au plus un léger tangage, mais le bateau continue à filer « légèrement » sur  l’eau, avec ses vingt quatre mille tonnes de chargement, en direction de Pointe-à-Pitre.


Mardi 5 mai

Au beau milieu de la nuit, un gros bruit métallique se fait entendre. Il y a beaucoup de vent, et la mer nous offre des creux de 4 à 5m. Pourtant je n’ai pas (encore ?) le mal de mer. C’est plutôt agréable, en position couchée, de se faire bercer. Nous avons récupéré une heure cette nuit (à cause du décalage horaire et du changement de fuseau).



 Je me lève à 6h00, pour voir le soleil levant. Les officiers de quart sont sur la passerelle, et me font signe de rentrer. Je m’exécute, et dans un anglais à la philippine, ils m’expliquent que le « scanner » est tombé cette nuit, et qu’il ne faut pas rester à l’extérieur. En fait il s’agit d’un radar. Heureusement il en reste un 2ème ! Le commandant Ludovic Nedelec a laissé des consignes strictes, principalement destinées aux passagers. Après le petit déjeuner, je remonte sur la passerelle, en restant bien à l’intérieur, et le capitaine confirme l’incident de la nuit. Tant qu’ils n’ont pas pu monter sur le château pour constater les dégâts, nous ne devons pas nous trouver sur le pont supérieur, question de sécurité. Le soir, nous sommes conviés, les passagers, au carré des officiers pour prendre l’apéro. 

 


Le commandant nous présente le second Jean-Marie Le Henanff, et les trois autres officiers français de ponts et des machines. Après quelques échanges sur nos expériences mutuelles, j’ai la chance d’être invité par le commandant à sa table, avec son staff d’officiers. Puis le repas se termine au carré des officiers, où les discussions continuent toute la soirée. Et quand un marin parle, il parle… de bateaux ! L’ambiance s’est largement détendue après le repas, dans le carré qui fait aussi office de fumoir. Les officiers sont des gens très sympas, avec toutes sortes d’anecdotes dont leurs collègues sont friands. Bref, très bonne soirée, de laquelle je m’éclipse vers 23h. Ma couche m’attend…


Mercredi 6 mai

Le temps est maussade ce matin. Après une nuit dégagée et un ciel étoilé, voici le retour d’une petite bruine d’automne. La température est fraîche (14°C) à l’arrivée sur les Açores, que nous devrions traverser vers minuit. Petite visite sur la passerelle, où seuls se trouvent des officiers philippins. La visibilité n’est pas supérieure à 2 miles marins, mais il n’y a aucun autre navire à proximité, comme nous confirme le radar restant. Ca fait une drôle de sensation d’être au milieu de nulle part, à plus de mille kilomètres de la terre la plus proche… J’étais un peu brassé hier, mais aujourd’hui ça va beaucoup mieux. Tout le monde confirme que ces derniers jours furent pénibles. Le temps se découvre, mais l’océan reste gris-vert. Pas encore la surface bleu-outremer ! Nous avons accès à tous les ponts extérieurs, au total 7 étages, mais pas encore à la proue du bateau car la mer est trop forte. Mais ça ne devrait plus tarder longtemps. Journée sans histoires, entre visites à la passerelle pour surveiller notre position, lecture (et rédaction de mon livre de bord !), et sieste réparatrice. Bien que l’on dorme assez bien, on est sur le qui-vive, réveillé par le moindre bruit anormal. Il faut dire que les bruits en mer sur un bateau, n’ont rien à voir avec les bruits à terre. Et puis l’air marin fait ses effets…



 Depuis la passerelle, je vois mes deux premiers dauphins, et des oiseaux marins qui ressemblent à des martinets ( ?), et qui rasent les flots à la recherche de nourriture. Il ne faut pas oublier la contemplation de la mer, avec la courbure perceptible de la terre, et à 360° ! Par contre pas moyen de voir la voie lactée, tout au plus quelques trouées dans la nuit…


Jeudi 7 mai :

La nuit a été particulièrement agitée au passage des Açores. On a essuyé une petite tempête, et le bateau tapait de la proue violemment. On aurait dit qu’il était arrêté par des murs d’eau ! Le commandant Nedelec a certainement donné l’ordre de réduire la vitesse pour ne pas tout casser, car celle-ci est tombée à 15 nœuds. Lui qui se plaignait hier de ne pas avancer ! Les creux sont impressionnants ce matin, atteignant certainement les 6 à 8 m.







 Mais le bateau ne se comporte pas mal, tout au plus un tangage prononcé. Les matelots ont commencé à s’affairer sur le pont, meulant et peignant le moindre bout de ferraille rouillé abandonné à la mer. Lors d’une visite habituelle à la passerelle, je discute avec le second, le lieutenant Le Henanff, de la météo, la mer et son état général. Nous devrions avoir moins de mer dès demain. Effectivement, il aura raison ! Il me fait voir un groupe de 5 ou 6 dauphins, mais celui-ci ne pourra pas nous suivre. Nous allons trop vite pour eux (22 nœuds). Le bateau a repris sa vitesse de « croisière », et nous sommes encore dans les temps pour son arrivée à Pointe-à-Pitre lundi. Le bouquin sur Marie-Galante traite des visiteurs qui ont eu un « coup de cœur », et qui y reviennent régulièrement, parfois s’y établissent, tout comme nous ! Certains y viennent même en cargo ! Mais ça ne concerne que quelques illuminés… Le fait d’être seulement quatre passagers implique que nous devions bien nous entendre. Je suis le plus jeune, et ai avec moi trois « jeunes retraités ». Les contacts avec l’équipage sont limités : à part la passerelle où, quand il n’y a pas de manœuvres, les officiers français ou philippins sont assez ouverts. On ne voit qu’assez peu les autres personnes à bord. Elles ont sûrement une foule de choses à faire. Le bateau maintient sa vitesse, en « surfant » sur une légère houle. À 19h52 (heure du bateau), nous aurons droit à notre premier couché de soleil digne de ce nom. 

 


Ce n’est pas le plus beau que j’ai vu, mais c’est un bon début. Nous allons prendre ensemble un café dans le salon des passagers après le repas, puis rejoignons nos cabines respectives pour écouter de la musique, lire un peu, puis après avoir piqué du nez, s’endormir. Il faut bien dire que nous ne sommes pas habitués à l’air du grand large ! Il faut l’avoir fait pour comprendre ce que cela veut dire…


Vendredi 8 mai :

Tout le monde est au petit-déjeuner à 7h00 pétante. Mes collègues et moi avons passé une très bonne nuit, bien meilleure que la veille ! Le bateau à filé sur l’eau à vive allure, sans le moindre choc. On aurait pu croire parfois qu’il était arrêté… Nous montons sur la passerelle pour assister au lancement du ballon-sonde de météo-France. 



La CMA-CGM a été chargée de procéder à ces lancements, pour éviter à météo-France de mobiliser un bateau, et ainsi diminuer les coûts. Il y a deux lancers journaliers, pour peu que le vent ne dépasse pas 40 nœuds. Là, le vent relatif est de 38 nœuds (constaté 16 noeuds + vitesse du bateau 22 noeuds), presque la limite. Le ballon gonflé l’hélium s’élève dans le ciel laiteux, mais assez vite sa balise cesse d’émettre. Problème qui arrive de temps en temps. Le matelot philippin chargé de l’envoi, touchera quand même ses 5 euros, somme allouée par météo-France pour chaque lancement. Tiens nous sommes suivis ! Un bateau est visible au loin, au milieu de nulle part. En fait, nous l’avons rattrapé puis dépassé, celui-ci filant à seulement 15 nœuds, alors que nous sommes à 22 nœuds (données GPS). Il s’éloigne à l’horizon jusqu’à ne plus être visible. Nous avons l’autorisation d’aller à la proue et à la poupe du bateau. Il y a un exercice incendie pour les matelots, mais les passagers ne sont pas concernés. Nous prenons soin toutefois de ne pas gêner les manœuvres.





 Les ancres sont gigantesques, et les boutes en proportion de la taille du navire. Pas le moindre dauphin, ni la moindre baleine à l’horizon. Dommage. Le ciel est complètement dégagé, à part le bandeau de nuages persistant à l’horizon. Cela nous promet un joli coucher de soleil ! Et une nuit dégagée. Incroyable la densité d’étoiles que l’on peut observer, sans ces lumières parasites qui pourrissent l’atmosphère. Je ne vois pas la voie lactée, mais il faut dire qu’il n’est que 20h30 !!! En effet, le commandant Nedelec a décidé (et c’est lui qui décide !), de rattraper une heure par vingt-quatres heures. 


Ainsi nous avons des journées de 25h, donc une heure de sommeil en plus ! Nous continuons à filer sur l’eau à 22 nœuds, presque sans aucune vibration, ni roulis, ni tangage. A ce rythme là nous aurons tôt fait de rattraper notre retard…


Samedi 9 mai :

Le bateau continue à filer à près de 21 nœuds, toujours avec un vent « dans le pif » de près de 20 nœuds. Ce qui fait que sur la passerelle, le vent apparent est de près de 40 nœuds, soit plus de 70 km/h (la vitesse d’un scooter !).



 Difficile de faire des photos dans ces conditions. Par contre, le bateau ne bouge pas, et la mer est d’un bleu profond. On voit les premiers poissons volants. Cet après-midi, nous aurons droit à la visite des machines, faite par le Chef ingénieur Joël Lartigau, personnage très sympa quoiqu’un peu réservé. Le moteur est monstrueux, et la température y est très élevée (plus de 40°C). Ce moteur est un MAN, 8 cylindres de 33.000 CV. 

 


Il tourne au maximum à 91 tours/mn. Bien loin des moteurs de voitures diesel actuelles… On a chargé à Montoir-en-Bretagne près de 1200 T de fuel lourd. On devrait en avoir consommé 800 T à notre arrivée. Les quatre groupes électrogènes, encore plus bruyants que le moteur diesel, produisent l’électricité nécessaire pour faire tourner les différentes pompes qui stabilisent le ballast, mais aussi les containers réfrigérés gros consommateurs d’énergie, surtout au retour vers la métropole, quand le bateau transporte plusieurs centaines de tonnes de bananes. Il va sans dire que tous les appareils électriques, lumières, climatisations etc… sont alimentés par ces groupes. Merci au chef Lartigau (grade le plus élevé sur le bateau après le commandant !) pour sa visite très instructive. De retour sur le pont, on voit un yacht nous croiser, certainement rejoignant la Méditerranée pour aller se « faire voir » à Cannes, Nice ou St-Tropez. Cette migration est habituelle : l’hiver aux Antilles, l’été en Europe… 




Ce soir, c’est le BBQ (barbecue !). Tout le monde y est convié par le commandant : officiers, équipage et voyageurs. Ambiance très chaleureuse, nourriture à outrance (cochon de lait, viandes diverses, pizzas, desserts, rien ne manque). Et l’alcool coule à flot, excepté pour les officiers de quart, qui restent sur la passerelle, pilotant le bateau. Les philippins se lâchent, buvant et mangeant largement plus qu’à l’accoutumée. Les officiers français n’ont pas besoin de ça… 

 



Cette nuit, on récupère une heure pour la dernière fois. On pourra dormir encore une heure de plus. Celle-ci sera la bienvenue…


Dimanche 10 mai :

Le beau temps s’est définitivement installé sur notre route. Déjà on voit apparaître la Guadeloupe sur les cartes marines. Je pense que nous arriverons en avance sur le timing prévu, soit demain aux alentours de midi. 



A moins que le commandant Nedelec ne donne l’ordre de ralentir, la place étant « réservée » au port de Pointe-à-Pitre. Pour la première fois du voyage, nous avons le vent en poupe, ce qui fait qu’avec notre vitesse, il n’y a pratiquement pas de vent sur la passerelle. Et les températures de l’eau et de l’air (plus de 26°C) montent, montent à l’approche du tropique du cancer.

 


 Les premières algues dérivant de la mer des sargasses (ou d’ailleurs !) font leur apparition. Le temps se couvre un peu, mais sans conséquences, et à midi il doit bien faire au moins 30°C ! Nous dépassons deux navires, un par bâbord, un par tribord. Enfin un peu d’agitation sur cette mer (presque !) déserte. Je vois aussi les premières traînées de deux avions depuis bien longtemps… 



J’envoie quelques derniers Email (par satellite, n’est-ce pas !) avant demain, car mon adresse sera désactivée quand je serai à terre. Je ne sais pas si je dois  écrire « enfin le retour à la civilisation ? ». La nuit est tombée sur l’océan atlantique, sans coucher de soleil. Par une nuit sans lune, le bateau continue sa route direction Pointe-à-Pitre. Le second Le Henanff me confirme que nous serons à quai à 13h demain. Dernière nuit sur le bateau. J’en profite pour taper mon carnet de bord sur Word, afin de le mettre en ligne dès mon arrivée à Marie-Galante. J’en profite aussi pour mettre un mot sur le cahier de bord des passagers, qui lui, reste sur le bateau.


Lundi 11 mai :

Ca y est ! C’est le dernier jour… Je suis réveillé à 5h00 déjà (pourquoi ?) et, le temps de me décrasser, je suis sur la passerelle. Les deux officiers sur le pont, ont pris leur quart à 4h00. 

 


Nous discutons longuement, eux avec leur anglais « philippin », moi avec mon anglais approximatif, à l’accent bien français. Mais on se comprend, et ils ont envie de parler. Dommage que ce soit la dernière journée ! Nous croisons deux barques de pêcheurs de la Désirade, avec leurs puissants moteurs. Ils sont à au moins 100 miles marins de leur île, soit près de 200 kms !



 Ils n’ont vraiment pas peur, et se positionnent dans la traînée du cargo. Ca doit brasser tellement, que l’eau hyper oxygénée doit attirer les poissons… Quand on prend notre dernier petit-déjeuner ensemble, on ressent la tension du commandant et de son second à l’approche de l’archipel de Gwada. Karukera est en vue ! En fin de matinée, nous laissons à tribord la Désirade, dans un horizon voilé. Puis vient le tour de Petite-terre, avec ses deux îles et son phare caractéristique. Puis, toujours depuis la passerelle, c’est au tour de « la galette » de s’offrir à nous à bâbord. Dommage que la visibilité ne soit pas meilleure ! Nous passons devant les falaises de Marie-Galante, puis c’est au tour de l’îlet de Vieux-fort, et enfin de Saint-Louis. Puis nous nous écartons pour terminer dans la baie de Gosier, face à notre port de destination. Je n’ai pas encore refait mes valises ! Je répartis mes marchandises achetées à bord, en cas d’un éventuel contrôle douanier, qui n’aura finalement pas lieu. Vient le moment de réceptionner notre pilote, un grand black, qui prend très au sérieux son rôle pour prendre les commandes de notre mastodonte de près de 400.000 tonnes ! 



Il faut dire qu’après avoir consommé 800 tonnes de fuel lourd, celui-ci s’est « allégé », et son tirant d’eau est passé de 10,65 m à « seulement » 10,20 m ! La baie de Pointe-à-Pitre est en train de se faire « draguer » (elles aiment bien ça les antillaises !), dans le but du futur agrandissement du port, qui devrait être en mesure d’accueillir des cargos plus gros, de 7.000 équivalent containers 20 pieds ! Le notre ne fait « que » 2.200 EQC 20 pieds ! Après une trajectoire d’entrée dans le port qui ressemble plutôt à un zigzague qu’à une tirée de bord, notre porte-container file extrèmement lentement dans le chenal. On y croise le « Jean » (comme le pantalon), qui nous frôle dans l’étroit chenal. Le bateau du pilote qui nous escorte, repère un petit voilier sortant de la marina, et va lui foutre une « bordée » pour qu’il s’écarte de notre route. Il ne doit pas se rendre compte qu’un bateau de cette taille ne s’arrête pas comme une twingo ! Le cargo s’arrête à proximité de notre « immense » quai de destination, que nous allons quasiment tout occuper.



 Un remorqueur nous attend, visiblement sur-vitaminé, avec ses deux énormes échappements de part et d’autre de sa passerelle. Il nous fait pivoter, très lentement, sous le contrôle de notre pilote et du commandant, puis nous tire vers le quai pour nous faire accoster, sans un choc, comme vous garez votre voiture le long d’un trottoir (si, si, certains y arrivent !). Dernier repas sur le navire, le temps que les matelots et les dockers procèdent à l’amarrage, terminent l’installation de la passerelle, et procèdent à la définition du « plan de déchargement » du cargo, sous la responsabilité du second Le Henanff. Notre steward philippin Erlito Magbuhos nous précise qu’il se tient à notre disposition pour débarquer nos bagages, mais que rien ne presse.

 


 Notre seul impératif pour nous est de ne pas rater l’Express des îles de 17h15, destination… Marie-Galante ! Une fois descendus sur le quai, nos bagages aussi, c’est le temps des adieux pour notre couple de suisses de Bex, qui vont faire un tour en ville, avant de continuer le voyage vers Fort-de-France. Le breton Guézénoc et moi partons dès ce soir pour Grand-Bourg. Pas le temps de faire nos adieux aux officiers français, ceux-ci sont trop occupés avec  l’escale et le déchargement du bateau. Le commandant ne veut pas perdre la moindre heure, ce qui lui permettra d’assurer l’arrivée mercredi matin 7h00 à Fort-de-France, en Martinique, où le cargo a rendez-vous. 



Je lui enverrai un petit mot, qu’il partagera certainement avec ses collègues officiers lors d’une visite de détente dans leur carré. Nous saluons quelques philippins présents sur le pont inférieur, dont notre steward, et nous disparaissons dans un taxi… Fin de ce voyage passionnant, que je ne pourrais que conseiller aux lecteurs de ce blog (s’il y en a !)…

Le reste du séjour ne vous intéresse certainement pas : trop chaud, trop de soleil, trop de (bon !) rhum… L’enfer quoi…